Je compte des boutons.
Chaque jour commence par un interminable égrenage. Pourpoint après pourpoint, bouton après bouton, je vérifie que tout est solidement arrimé, que rien ne craque, qu'aucune rupture prochaine ne menace la représentation du soir. La tâche est un peu insipide mais nécessite concentration. Une bride en berne, un galon décousu allez, ouste ! A la panière ! Et puis je recommence, un, deux, trois...
Je m'interromps, attentive. J'ai entendu quelque chose : un rire étouffé, le bruit d'une course, lointaine. Allons, il n'y a personne. En cette heure matinale, le plateau est désert sous la lumière crue des services. Je reprends ma progression le long du portant, enjambant un pêle-mêle de bottes, d'escarpins à rubans et de rapières.
Cette fois c'est sûr, quelqu'un chuchote au creux de mon oreille. On tire sur l'ourlet de ma jupe. Je relève la tête, tout est silencieux. A l'autre extrémité des loges rapides, ma collègue continue son travail, sereine. Rien ne semble la déranger.
Je lance un regard soupçonneux à la Robe du Triomphe, hiératique sur son mannequin. Elle me toise, immobile, toute de satin broché crémeux, le tuyau d'orgue arrogant.
Une galopade ! Ça vient des cintres, non, des pendrillons ! On murmure quelque malice à propos d'une conduite égarée, d'une bretelle qui craque à deux minutes de l'entrée en scène, on cherche sa P...lz, sa M@glight. Ça parle de mise, de changements, d'accessoire oublié en loge. Là-bas, à la face, on déclame un texte. De la scène monte un son de plancher creux sous le martèlement rythmé de pieds invisibles. L'air sent le fard et la lumière brûlante.
Oh, je sais.
Je sais bien qui se joue de moi.
Les vieux démons...
Ils affectionnent les coulisses obscures, vivent derrière les cyclos et font claquer les trappes. Ils se nourrissent de l'adrénaline des courses à pas feutré, des changements rapides minutieusement réglés que le trac (ou trop d'assurance !) chamboule. Ils sont discrets, vêtus de noir. Ils marchent sur de souples et silencieuses semelles. Ils redoutent comme la peste de se trouver "à vue" et vont jusqu'à camoufler leur chevelure sous de petits bonnets noirs, lorsqu'une manipulation plus osée les mène à la lisière du plateau. Et jamais, au grand jamais, vous ne leur arracherez le mot "c...rde" !
Je secoue la tête pour en chasser la farandole de ces fripouilles, ramasse le raccommodage du jour et remonte m'atteler au repassage avec un léger pincement au cœur. Qu'importe, dans une minute je rirai aux éclats à la boutade de l'une ou l'autre de mes camarades lingères !
Encore une fois, je leur ai fait la nique.
Mes vieux démons ont nom Cour et Jardin.
Illustration : John Anster Fitzgerald, "Fairies In A Birds Nest" - détail
Le carton à chapeau est un ravissant objet, tombé en désuétude On en fait de très élégants fourre-tout
vendredi 16 janvier 2009
samedi 3 janvier 2009
Du givre et des fraises
Comme autrefois, j'ai repris mon sac et suis montée dans ce train qui m'emmène à l'autre bout du pays. Comme autrefois il y avait sur le quai de la gare, un amoureux un peu anxieux et pourtant sûr de mon retour. Mais cette fois, il tenait les mains d'une petite fille interdite et d'un petit garçon en larmes et j'ai douté, de ce voyage, de ces bonnes raisons.
Et puis le balancement des rails et la morne plaine du Rhône ont eu raison de ces vaines questions. J'ai dormi.
Changement de gare, à Paris et comme autrefois, les couloirs du métro au galop, chargée comme une petite mule, ne pas relâcher la concentration avant d'avoir atteint, suant et soufflant, la seconde gare. Comme autrefois, toujours, s'écrouler dans le train suivant, croquer une pomme et reprendre le somme interrompu, plus sereine.
Entre deux somnolences, surgissent des bosquets givrés, irréels dans le soleil qui perce le brouillard. Dans un champ où une petite neige transparaît encore sous les feuilles vertes, trois biches, que la vitesse du train fige.
Comme autrefois, j'arrive dans une ville inconnue. Mais cette fois il n'y a pas d'hôtel. J'envahis de mes sacs et de mon bavardage un hôte doux et réservé qui me fait une place dans son logis, dans ses habitudes.
Au matin, je cavale, encore, soucieuse d'arriver à l'heure pour ce premier jour. A peine entrée je retrouve les sensations, les odeurs, les visages. Hier j'étais "accueillie", aujourd'hui c'est moi qui "accueille" mais les mêmes gestes reviennent, les questions rituelles. Je reprends avec délice le jargon du plateau. Pour quinze jours, juste quinze petits jours, goûter à nouveau au théâtre.
On jouera Shakespeare. Je passe ma première journée à défroisser, l'esprit léger, les fins volants de baptiste qui ornent les cols et les poignets d'une soixantaine de chemises. En guise de dessert, je tuyaute quelques fraises...
Et puis le balancement des rails et la morne plaine du Rhône ont eu raison de ces vaines questions. J'ai dormi.
Changement de gare, à Paris et comme autrefois, les couloirs du métro au galop, chargée comme une petite mule, ne pas relâcher la concentration avant d'avoir atteint, suant et soufflant, la seconde gare. Comme autrefois, toujours, s'écrouler dans le train suivant, croquer une pomme et reprendre le somme interrompu, plus sereine.
Entre deux somnolences, surgissent des bosquets givrés, irréels dans le soleil qui perce le brouillard. Dans un champ où une petite neige transparaît encore sous les feuilles vertes, trois biches, que la vitesse du train fige.
Comme autrefois, j'arrive dans une ville inconnue. Mais cette fois il n'y a pas d'hôtel. J'envahis de mes sacs et de mon bavardage un hôte doux et réservé qui me fait une place dans son logis, dans ses habitudes.
Au matin, je cavale, encore, soucieuse d'arriver à l'heure pour ce premier jour. A peine entrée je retrouve les sensations, les odeurs, les visages. Hier j'étais "accueillie", aujourd'hui c'est moi qui "accueille" mais les mêmes gestes reviennent, les questions rituelles. Je reprends avec délice le jargon du plateau. Pour quinze jours, juste quinze petits jours, goûter à nouveau au théâtre.
On jouera Shakespeare. Je passe ma première journée à défroisser, l'esprit léger, les fins volants de baptiste qui ornent les cols et les poignets d'une soixantaine de chemises. En guise de dessert, je tuyaute quelques fraises...
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