jeudi 24 juillet 2008

Somethin' Stupid


Il y a cette fenêtre ouverte qui donne sur le toit, au dessus du Vieux Port. En mai, la nuit est déjà douce. Il y a les mâts qui tintinabullent, quelques gabians qui planent, pour une fois silencieux, phosphorescents.
Il y a les lumières qui se reflètent dans l'eau noire et l'odeur de la mer. On pense à Perez-Reverte, à son Cimetière des Bateaux Sans Nom.

Lui il est urugayen, il a roulé sa bosse, une manière de Corto Maltese un peu sur le retour. Ses premiers yeux verts, dit-il, à 45 ans. Et il chante "Aquellos Ojos Verdes", les yeux perdus dans ces premiers yeux verts. Une voix de baryton patinée au tabac, Nat King Cole fait pâle figure. Frissons dans le dos, papillons dans le ventre.

Stop

L'instant parfait...

Après ce sera facile, ce sera léger. Il y aura la nuit, échevelée, bien sûr. Le retour, seule, au petit matin, sur la pointe des pieds. Ecouter le couloir puis filer, grimper quatre à quatre les escaliers d'un hôtel voisin, chaussures à la main, pour se jeter sur le lit et finir béatement sa nuit.

Mais là, juste là, à suspendre le plus longtemps possible, l'instant parfait.

Combien nous est-il donné, dans une vie, de goûter de tels moments ? Est-ce seulement donné une fois à chacun ? Alors de grâce, amants, n'oubliez pas d'être légers, d'être simples. N'ayez le mauvais goût de tomber amoureux et gâcher ainsi l'histoire. L'amour est une autre affaire qui n'entre pas ici. N'alourdissez pas de sentiments cette bulle de savons qui aura éclaté sous peu, mordez sur vos lèvres, le "je t'aime" qu'un réflexe vous pousse à murmurer à l'heure où vos sens s'égarent.

Vous aimerez, ailleur et la passion n'en sera que plus sublime mais pas maintenant. Maintenant, laissez-la repartir, sans poser de questions. Voyez comme elle est heureuse et légère. Chérissez comme elle, le souvenir lumineux et impérissable de cette unique nuit. Ne demandez pas à la revoir ou alors elle commencera à attendre un signe, un appel et là se fanera cette fleur qu'elle emportait avec elle.

Légère...

Noces de Porcelaine

Delft ou Ming ?

La bergère et le ramoneur ont pris la poudre d'escampette.

La blonde bergère aux yeux de ciel et le ramoneur à la tignasse de hérisson ont revêtu bourrette de soie pour virevolter au soir de leurs noces.

De la bourrette ? Que de modestie, pensez-vous. C'est sans compter ces touches d'émail cloisonné, ces perles rouges à fleurs minuscules ou ces gouttes bleues rehaussées d'or qui ponctuent avec espièglerie ces tenues sages.

Sage, vraiment ?

jeudi 17 juillet 2008

Noces de Toile


Ou

Un billet de pure vengeance auquel Swâmi Petaramesh n'entravera que dalle !

Or donc, Noces de Toile...

La genèse d'une création s'ouvre sur LA toile, qui est à l'étoffe, ce que le croquis est au papier. Un brouillon sur lequel on on teste les volumes, l'ampleur d'un évasé, une coupe hasardeuse.

Elle peut être coupée géométriquement à plat puis montée en toile à patron pour un premier essayage. Mais plus exaltante est la coupe par moulage où l'on travaille la toile sur le corps d'un mannequin (parfois directement sur le client !) jusqu'à obtenir la coupe exacte et précise, le tombé parfait. Un moment à part dans la construction d'un costume, à mi-chemin entre couture et sculpture, extrêmement sensuel. On voudrait presque y aller les yeux fermés, ne voir que par le Toucher le pli disgracieux qu'on lisse de la paume ouverte, le pli voulu que l'on fait rouler sous ses doigts, le drapé qu'on affine. Inconsciemment on retient une seconde sa respiration au moment de donner le petit coup de ciseaux et puis on souffle quand se forme le godet. Tour à tour l'étoffe épouse ou effleure le corps. Il faut trouver l'équilibre des proportions, le nombre d'or instinctif, traquer le centimètre de trop. Seul l'œil ici sait juger de la ligne exacte, de la parfaite équation. Ici elle est bonne, là elle ne l'est plus. Pourquoi ? Parce que...

Au menu de ces épousailles printanières, plis creux rigoureux avec fonds en forme, quilles, découpes verticales sur manche droite, décolleté carré. Les plis sont maintenus fermés en certains points du corsage. Une astuce qui permettait de redonner de l'ampleur en défaisant certains points s'il avait fallu accueillir et mettre en valeur un petit ventre s'arrondissant.

Pour lui, veste tunique ceintrée dont le bas s'évase légèrement. Le détail au milieu de cette ligne épurée, un col châle inversé coupé à même le dos, découvert sur un patron de doublet XVIe siècle. Une allure folle !

Premier essayage parfois frustrant puisque ni matière ni couleur ne sont représentés, mais on corrige, on redonne, reprends, remonte, taille, recoupe, creuse. On approfondit une pince, on bascule, on redessine allègrement une ligne à la mine de plomb. Voire, avec une joie d'enfant bravant un interdit, au STYLO BILLE.

Et puis on démantèlera la toile, on en fera un patron et puis on ne pourra plus reculer, il faudra, d'une paire de ciseaux précise, couper la soie, la laine, le lin pour qu'apparaissent enfin les couleurs sur ces élégants fantômes.